Tu me demandes.
Je vois la terre en tableau, ça prend tout mes yeux, en coupe verticale,
Je vois du brun clair au brun profond qui est presque bleu.
Si je le veux je peux m’enfoncer. Je fais l’effort.
Je vois des racines, des galeries sans abris
- Il n’y a pas d’animaux, je ne vois pas d’animaux.
Il y a une sensation d’afflux.
Là, il y a des respirations qui gonflent les poumons qu’elles découvrent.
A intervalle régulier.
Deux respirations, une courte en ovale et une plus ronde.
Les ovales m’abreuvent d’air juste ce qu’il faut jusqu’à la prochaine.
Je traverse une ronde qui m’avale.
Je descends plus profond.
Il y a des éclats lumineux qui remontent les racines contre le noir, qui me remontent. Je sens le frisson en tête et en suçon.
Il y a des cailloux blancs tenus dans le tissu dense de la terre en goudron,
Comment je vois ?
Mais voilà c’est une clé figée blanche,
Mais voilà les cailloux sont des objets en blanc que je connais :
Je vois la clé, je vois une aiguille, et plus loin sa coupelle toujours serviable,
Je vois une table plus petite que les tables.
J’ai mes doigts posés en surface, je sens en rhizomes, en filet
Je sens encore mes doigts sur la réalité.
Je te parle de la terre et de mes doigts.
Tu les agrippes dans ta main, tu les compresses, fort. Et là qu’est ce que tu vois ?
Je vois ta bouche grande au-dessus de la mienne.
C’est bleu encore,
Le noir n’est jamais noir, j’ai du mal à parler, je souffle vite mes mots entre deux battements d’images,
Je dis bleu encore,
Je dis une baleine ralentie, retenue,
Et la terre entre dans mes oreilles quand soudain la terre s’ouvre,
Elle s’ouvre à répétition.
Là il y a l’herbe vigoureuse que j’aperçois d’en bas,
Un vert de plein ciel,
Il y a le soleil qui me percute les yeux de ses deux disques contraires.
Tu laisses tes doigts dans la terre, et moi je suis l’herbe qui se dresse, tu laisses tes doigts dans la terre, et moi je suis le brun, le bleu.
Je suis du ciel et du flanc de la terre que tu as allongés avec moi.
Il y a encore mon corps coupé en deux dans la mer,
C’est pendant que tu dors,
J’ai ta respiration sur la poitrine quand j’inspire.
.
(Jardin, Pacino di Bonaguida, vers 1335)